Le Nogentais, 24/11/1907 – Autour du Tramway.
Voici la lettre que nous n’avons pu insérer dimanche et que M. le Maire de Nogent-le-Rotrou a adressée à M. le préfet d’Eure-et-Loir, le 9 novembre dernier :
J’ai l’honneur de vous adresser une pétition signée d’un grand nombre d’habitants des rues avoisinant la route nationale n°155 à sa sortie de la ville, pour obtenir un arrêt du tramway en construction à son entrée en ville. Le Conseil Municipal a émis un avis très favorable sur cette pétition.
Je tiens à rappeler que le conseil municipal de Nogent-le-Rotrou, dans sa délibération du 7 décembre 1905, approuvant le plan parcellaire et le tracé du tramway dans la ville, disait en terminant :
« Considérant toutefois que pour répondre aux nécessités de la circulation, il importe d’installer un arrêt à l’entrée de la ville de Nogent, à l’angle de la rue des Bouchers et du Croc, est d’avis d’approuver le plan parcellaire sous la réserve de l’établissement d’un arrêt au point indiqué. »
L’arrêt demandé se trouverait donc près de la fontaine de la rue des Bouchers, en face de la petite rue du Croc, qui conduit à la rue Saint-Lazare. Non seulement cet arrêt donnerait satisfaction à tout le commerce, relativement très important dans ce quartier, mais il permettrait aux voyageurs descendant du tramway pour reprendre le chemin de fer de l’Etat (gare Saint-Lazare), d’en être à une très petite distance, tandis que si on les emmenait à la gare centrale, il leur faudrait revenir sur leur pas pendant un long trajet.
Le Nogentais, 09/02/1908 – Le Pâty réclame
Non, mais c’est toujours aux mêmes à réclamer ! De quoi s’agit-il encore ? C’est d’abord le tramway, qui en prend à son aise avec les oreilles des gens ? C’était d’abord un sifflet modeste, maintenant c’est une épouvantable sirène qui vous perfore les oreilles ; les chevaux s’en cabrent, les chiens hurlent. Ajoutez à cela une fumée noirâtre qui enfume toutes les maisons et pénètre par toutes les fenêtres qu’on a laissées ouvertes. En voilà un régal ! Et les chats écrasés. On ne les compte plus rue des Bouchers. Tant qu’il n’y aura pas d’enfants écrasés, on n’aura encore rien à dire.
Or, c’est justement là que réclament nos gens du Pâty. Qui dit Pâty, dit également rue de Bouchers, rue de la Rhône, etc, autrement dit les bas quartiers. Ces braves gens appréhendent avec juste raison tous les dangers de cette brutale intrusion d’un tramway au beau milieu de la rue, désireraient un refuge, une manière de petite place où les enfants joueraient en paix sans crainte d’être broyés sous les rues du tramway. Tandis qu’ils y sont, nos gens du Pâty et autres lieux y vont carrément ; ils voudraient voir enlever tout le pâté de maisons qui se trouve entre les rues des Bouchers, de la Rhône et du Croc. Le tout déblayé, on y installerait un marché, un certain jour de semaine ou même le samedi. (C’est le plan Philippe de Saint-Nicolas qui renait de ses cendres.) Pourquoi pas, après tout ? On leur cause bien assez de préjudice avec le tramway qu’on pourrait bien leur donner cette compensation.
Ils en ont assez, les bas quartiers, de payer entrées et prestations pour que ça ne profite qu’aux quartiers hauts. Il ne faut pas oublier qu’à Nogent il y a deux villes : la haute et la basse, et ceux du Pâty, fortes têtes sans doute, ne sont pas éloignés d’une idée séparatiste.
Ils entendent bien d’abord qu’on leur accordera, de gré ou de force, leur fête, qu’ils feront chaque année. La place centrale servirait à cette fête, où viendraient s’installer tirs, loteries, et mêmes baraques de saltimbanques. La fête du Pâty éclipsera quelque jour la Saint-Jean, et cela d’autant mieux qu’on n’y aurait point d’emplacement à payer ; les histrions de toutes sortes s’y installeraient à l’œil. C’en serait une fête animée ; il viendrait du monde de plus de dix lieues la voir.
C’est comme cela que nous sommes dans les bas quartiers, et nous prétendons bien que ceux des hauts quartiers compteront avec nous ; nous entendons bien que ce que nous payons nous servira et qu’on ne donnera pas toujours tout par en haut. Le Pâty, c’est une petite ville qui peut se suffire ; on y a épiciers, bouchers, voire même pharmacien ; il ne nous manque plus qu’un médecin, mais nous ne désespérons pas de le voir arriver. En ce quartier populeux, on s’étonne aussi beaucoup d’y voir les bornes-fontaines aussi clairsemées. Il y en a une au bas des marches, une autre au bout de la rue des Bouchers ; le carrefour du Pâty n’en a pas. Pourquoi ? C’est que, paraît-il la fontaine en tient lieu d’une. Pas du tout. Son eau, la plupart du temps, après les grandes pluies, est trouble et imbuvable (le mystère du Val Roquet). Nous demandons une borne-fontaine pour y suppléer.
Et ce n’est pas encore tout. On y demande encore autre chose dans les bas quartiers. Il s’agit cette fois de la campagne. Pour préciser, quoique ça soit un peu archaïque, un peu vieux régime, nous dirons qu’il s’agit de la paroisse Saint-Laurent. Or, sur la susdite paroisse, jamais, de mémoire d’homme, on n’a mis un mètre de pierre dans les chemins, tandis que chaque année les cultivateurs de tous ces endroits sont envoyés faire leurs prestations tout à l’opposé. Ils désireraient qu’enfin on pense à eux et que ça ne soit pas toujours les mêmes qui aient le banneau aux pierres. Je suis un peu de leur avis, et pour ma part je connais certain chemin de la Plante qui n’en reçoit pas trop souvent de pierres, quoiqu’on ait voté des fonds il y a 4 ans pour en mettre. Il y aussi le chemin qui va de Charroyau à la Pitarnière, tous les deux sont dans un état affreux. Pourquoi ne pas obliger les carriers qui les ravagent de la sorte à les réparer ?
Vive ! paraît-il, pour le bon entretien des chemins, la commune de Margon. Nogent n’aura pas de ce côté la prime. On a tout dépensé pour la démolition de maisons fort solides, pour livrer passage au tramway ; on a voté des fonds pour faire une gare et quelle gare a-t-on fait ? Misère ! Il va falloir faire changer le zigzag affreux qui entame la place aux bestiaux, mettre des doubles rails, pour éviter de faire rompre le cou aux gens, et tout cela aux frais de la ville. Paye, pauvre croquant, mais pour t’arranger tes chemins tu peux te fouiller. Si tu crois que ce gentil petit tramway ne nous intéresse pas davantage que tes méchants chemins.
Il est joli le petit tramway, et a surtout une musique qui réjouit le tympan, une fumée qui embaume, un véritable encens ; les maçons n’ont qu’à apprêter le balai et l’eau de chaux. Eux, toutefois, ne s’en plaindront pas. Tandis qu’il aurait été si facile et combien moins coûteux de l’amener par les Viennes ; nous aurions eu de la sorte à Nogent un nouveau boulevard, tout au moins une promenade fort agréable en dehors de la ville. Non, c’était trop simple, et puis il n’y aurait pas eu assez à gratter.
A . Filleul
Le Nogentais, le 03/05/1908 – A tous ceux du Pâty et autres lieux.
Le Pâty est une petite ville dans la grande qui se suffit à elle-même ; il comprend les rues Bourg-le-Comte, du Pâty, des Bouchers, Saint-Lazare, le tout dominé par la magnifique butte de Saint-Jean.
Sur la butte, en butte, aux luttes !
D’autres y rattachent les rues Saint-Laurent et Saint-Denis, et poussent même la délimitation jusqu’au Pont-de-Bois et y ajoutent encore la rue Bretonnerie. Ce n’est pas officiel. Et dans tous les atlas, mappemondes, etc, que j’ai consultés, je n’ai jamais vu cette délimitation ; ce ne serait en tout cas qu’un faubourg dépendant soit de Nogent, soit du Pâty.
Ce sur quoi tous les géographes s’accordent, c’est d’affirmer que le Pâty et Nogent font deux. La ligne de démarcation finirait, d’après les uns, à l’avenue des Marronniers et ruelle de la Galaisière ; d’autres n’y comprennent que les premières maisons de la rue Gouverneur. Cette question de frontière reste à déterminer, et nous espérons que les choses se feront à l’amiable, chacun étant prêt, de part et d’autre, à faire des concessions.
Ceci posé et la configuration du pays étant bien établie, venons-en aux revendications des habitants. Ce qu’ils voudraient, ce serait d’avoir un peu voix au chapitre. Cette suzeraineté qu’exercent sur eux les hauts quartiers leur est d’autant plus lourde qu’ils y jouent le rôle des membres, tandis que les hauts quartiers sont l’estomac et digèrent toute la recette. Ils sont résolus à réagir ; ils auront désormais leurs hommes à eux pour les représenter au Conseil ; ils ne seront plus une nullité. « Ca ne nous déplairait pas non plus, disent-ils, d’avoir le maire par chez nous, comme qui dirait au château de Saint-Jean, et ça ne serait pas d’abord le premier. Alors on pourrait relever la tête, on serait des hommes. On demanderait notre petit marché du dimanche, notre petite place, etc.. et beaucoup d’autres petites choses. On ferait les fiers ; faudrait bien qu’ils y viennent à leur tour par chez nous, ceux des hauts quartiers ! »
Ce n’est peut-être qu’un rêve, mais il est doux à caresser, ce rêve là. Qui sait, après tout ? On voit tant de choses extraordinaires…
Une dernière recommandation :
Gens du Pâty, concentrez tous vos efforts sur les candidats de votre quartier. Tous, comme un seul homme, votez pour eux, et pour eux seuls, sans souci d’opinion, de plus ou de moins, ou de pas assez. Ils sont du quartier, suffit ! Votez pour eux !!
Saisie : Christiane BIDAULT
Dernière modification : 13 Juillet 2012