Histoire des communes - Fiche personnalité

Personnalité

  • Jean François Gabriel VAUGEOIS

  • Naissance : 1753

  • Décès : 1839

  • Profession : Prêtre, président à la cour criminelle de Namur

  • 8 activités


Jean François Gabriel VAUGEOIS

Biographie

M. Gabriel Vaugeois est mort à Laigle, au mois de juin dernier. Cette mort a fait peu de sensation. Le monde oublie vite ceux qui l'oublient, et M. Vaugeois vivait, depuis vingt-cinq ans , dans la retraite et dans le silence, étranger aux émotions des affaires politiques et de la presse, indifférent, en apparence, aux calomnies même dont on avait essayé de noircir certains actes de sa vie publique, tout occupé de travaux scientifiques et littéraires trop modestes pour avoir du retentissement. Pendant ces vingt-cinq années, il s'était reposé des agitations d'un passé qui avait eu son éclat et ses dangers ; il avait attendu l'avenir, ce juge incorruptible qui fait justice à tous, comme l'avait dit le plus éloquent de ses contemporains, Mirabeau. Mais, à l'époque où nous sommes, les événements et les hommes se succèdent avec une effrayante rapidité. Ceux qu'entraîne le tourbillon des affaires ont à peine le loisir de jeter un regard en arrière sur ceux qui les ont précédés dans la carrière orageuse ; les autres, plus calmes, jouissent, avec une indifférence ingrate ou dédaigneuse, du bien-être présent, sans se demander quels bras avaient labouré, quelles mains avaient semé le champ de leur repos. M. Vaugeois s'était trouvé mêlé à quelques-uns des événements les plus importants de notre histoire révolutionnaire ; il avait occupé longtemps d'éminentes fonctions dans la magistrature ; il avait pris part à ces grands travaux de codification qui resteront l'honneur des dernières années de la république française, et cependant il est mort presque inconnu. Aucune de nos biographies des contemporains, ancienne ou nouvelle, n'a recueilli son nom ; la presse, qui nous révèle chaque jour tant de célébrités posthumes , n'a rien dit sur sa tombe. Les sociétés savantes de nos départements, aux travaux desquelles il avait pris une part active, ont seules payé leur tribut d'hommages et de regrets à sa mémoire.

Celui qui écrit ces lignes n'a pas connu M. Vaugeois. Il est loin d'ailleurs, et il le déclare franchement, de partager toutes les opinions que M. Vaugeois avait embrassées et défendues. Toutefois c'est avec un vif intérêt, avec un soin religieux, qu'il a recueilli et qu'il va rappeler les principaux faits de cette vie si remplie et si peu connue. Il n'a rien négligé pour acquérir des documents certain sur les travaux politiques et littéraires de son savant compatriote. L'extrême obligeance avec laquelle M. Hippolyte Vaugeois, neveu du défunt, a bien voulu lui communiquer de précieuses notes sur la vie de son oncle, a d'ailleurs singulièrement facilité sa tâche. D'autres, sans doute, auraient pu mieux parler de M. Vaugeois ; mais n'y avait-il pas urgence à rompre le silence ?

Jean-François-Gabriel Vaugeois naquit le 15 avril 1753, à Tourouvre, petit bourg de l'ancienne province du Perche, aujourd'hui l'un des chefs-lieux de canton de l'arrondissement de Mortagne (Orne). Après avoir achevé d'excellentes humanités, il se livra à l'étude du droit ; mais des veilles prolongées ayant excessivement fatigué sa vue naturellement très faible, il fut forcé de renoncer, pour un temps , à toute espèce de travail.

Ce n'était pas alors chose facile pour un jeune homme sans fortune et sans naissance de sortir de la foule. Pour lui, l'église et le barreau étaient à-peu-près les seules voies de parvenir. Celle-ci était plus lente, plus incertaine ; elle exigeait des sacrifices de temps et d'argent que la position de M. Vaugeois ne lui permettait guère de faire. L'église, au contraire, lui promettait une position assurée dans un avenir très rapproché ; on lui offrait toutes sortes d'encouragements et de facilités de ce côté : il entra dans les ordres.

On peut supposer que les nouvelles études auxquelles M, Vaugeois dut se livrer , ne lui furent pas sans quelque utilité, lorsque, plus tard , il revint à celle du droit. Plusieurs des plus excellents jurisconsultes de notre temps avaient étudié la théologie et le droit canonique, et ils avouaient en avoir tiré de grandes lumières pour leurs travaux. Il n'y a pas longtemps qu'un homme d'état célèbre proclamait, en plein Institut, combien cette étude est profitable aux publicistes, et dispose l'esprit au maniement des plus grandes affaires.

Cette, première partie de la vie de M. Vaugeois nous échappe. Nous savons seulement que, vicaire avant la révolution, il adopta avec chaleur les principes de la constitution civile du clergé. En 1791, le célèbre Grégoire, curé d'Emberménil, ayant été appelé à l'épiscopat constitutionnel par les deux départements de la Sarthe et de Loir-et-Cher, opta pour ce dernier département ; il choisit M. Vaugeois pour son vicaire-général.

La révolution marchait dirigée par les hommes qu'elle devait depuis sacrifier, pour la plupart, et qui, victimes et bourreaux, travaillaient alors de concert au succès de leurs idées de réforme radicale. Condisciple et ami de Pétion et de Brissot de Warville , M. Vaugeois fut appelé par eux à Paris. Il partageait leurs idées, il partagea leurs travaux. Il publia un certain nombre de brochures politiques et beaucoup d'extraits d'ouvrages anglais qu'il traduisit pour la Société des amis des Noirs, dont il était membre, ainsi que la plupart des hommes influents du parti révolutionnaire.


C'est à l'époque du 10 août qui tua la royauté, comme 93 tua le roi, que le nom de M. Vaugeois devient véritablement historique. On l'a présenté comme un des chefs de l'insurrection, comme un de ceux qui préparèrent et dirigèrent l'attaque des Tuileries. Les uns lui ont fait de cette imputation une louange ; d'autres une flétrissure. Voyons les faits.

La déclaration de la patrie en danger avait mis toute la France en mouvement, et provoqué le départ d'un grand nombre de fédérés. Ils n'étaient que deux mille à Paris le 14 juillet 1792, jour anniversaire de la prise de la Bastille ; mais ils y arrivaient incessamment, et leur manière de s'y conduire justifiait à la fois les craintes et les espérances que l'on avait conçues de leur présence dans la capitale. Tous volontairement enrôlés, ils réunissaient ce qu'il y avait de plus exalté dans les clubs de France. Maîtres de l'Assemblée qui leur avait fait allouer trente sous par jour et leur avait exclusivement réservé les tribunes, maîtres des clubs qu'ils étonnaient de leur audace et remplissaient de leur nombre, ils provoquaient ouvertement la suspension du pouvoir exécutif. Dès le 12 juillet, on avait proposé au club des Jacobins de remplacer leur nom de fédérés par celui d'insurgés, et, jaloux de justifier ce dernier titre, ils avaient osé déclarer, dans leurs adresses à l'Assemblée législative, qu'ils étaient prêts à s'insurger au premier signal.

Après le 14 juillet, il se forma un comité central des fédérés qui se réunissait dans le local même des Jacobins. On ignore comment il fut nommé. Ses membres étaient d'abord au nombre de quarante-trois ; mais bientôt on les réduisit à cinq. M. Vaugeois fut nommé présidât ; ses collègues étaient Debessé, de la Drôme ; Guillaume, professeur à Caen ; Simon, journaliste à Strasbourg, et Galissot, de Langres. Toutefois on trouve le nom de Mazué indiqué comme celui du président de la séance du 10 août. Il est donc possible que la présidence fût temporaire.

Quel fut le rôle de ce comité ? Il dut, si l'on en croit quelques historiens s'adjoindre plusieurs patriotes exaltés, Carra d'abord, puis Fournier l'Américain, Westermann, Santerre, Danton et quelques autres ; se mettre en rapport avec les meneurs des clubs ; s'assurer de la complicité passive de Pétion , maire de Paris ; organiser le plan insurrectionnel , en attendant l'arrivée des Marseillais.

La première séance de ce directoire d'insurrection, comme l'appelle Carra, se tint au cabaret du Soleil d'Or, rue Saint-Antoine, en face de la Bastille, le jeudi 26 juillet au soir , après la fête civique donnée aux fédérés, sur l'emplacement de la Bastille!. M. Vaugeois, Debessé, Westermann, Kienlin, Santerre, Guillaume, Lazowsky, Simon, Fournier et Carra s'y trouvaient.

« Là suivant le récit de Pétion, on dressa le plan de campagne et le projet de siège du château. La petite armée devait se diviser en trois colonnes ; deux partaient de l'emplacement de la Bastille ; l'une prenait par-dessus les boulevards Saint-Antoine , et se rendait directement au château ; l'autre passait par la place de Grève, et s'emparait de la maison commune : elle était aussi chargée de consigner le maire chez lui ; la troisième partait du faubourg Saint-Marceau, et arrivait, par le pont, à la place Louis XV. »

Cette entreprise échoua ; la cour fut prévenue et prit ses précautions. Pétion, d'ailleurs, sentit que l'insurrection, faute de mesures d'ensemble , et par une précipitation imprudente, avorterait infailliblement, et tournerait dès lors à l'avantage de la cour, contre le parti populaire : il refusa son concours.

Dans l'intervalle, les Marseillais arrivèrent à Paris (30 juillet). Ils formaient un corps de cinq cent seize hommes, bien armés, et comptaient dans leurs rangs tout ce que le Midi avait de plus turbulent et de plus exalté, pour ne rien dire de plus. De ce moment, la conjuration prit Blangilly, un caractère plus grave, et l'on put prévoir que la révolution était proche.

« Les mêmes personnes à peu près se trouvèrent dans la séance du 4 août, dit Carra, et en outre Camille Desmoulins. Elle se tint au Cadran-Bleu, sur le boulevard, et, sur les huit heures du soir , elle se transporta dans la chambre d'Antoine , l'ex-constituant, rue Saint-Honoré, vis-à-vis l'Assomption, juste dans la maison où demeurait Robespierre ». Robespierre n'était pas prévenu, et resta étranger à la conjuration.

« Ce fut dans cette seconde séance active, continue Carra, que j'écrivis de ma main tout le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du château. Simon fit une copie de ce plan, et nous l'envoyâmes à Santerre et à Alexandre, vers minuit. Mais, une seconde fois, notre projet manqua, parce qu'Alexandre et Santerre n'étaient pas encore assez en mesure, et plusieurs voulaient attendre la discussion , renvoyée au 10 août, sur la suspension du roi.
« Enfin la troisième séance active de ce Directoire se tint dans la nuit du 9 au 10 août, au moment où le tocsin sonnait , et dans trois endroits différents en même temps , savoir : Fournier l'Américain avec quelques autres, au faubourg Saint-Marceau ; Westermann, Santerre et deux autres, au faubourg Saint-Antoine ; Garin , journaliste de Strasbourg, et moi, dans la caserne des Marseillais, et dans la chambre même du commandant. »

Tel est le récit de Pétion et de Carra. Il fait du comité central des fédérés un comité d'insurrection ; il présente M. Vaugeois comme un des chefs du complot, comme l'un des principaux auteurs de la journée du 10 août. M. Thiers a adopté ce récit dans son histoire de la révolution. Les auteurs de l'histoire parlementaire l'adoptent également.

Lorsque M. Thiers reproduisit cette imputation, qui paraissait oubliée, et l'accrédita auprès de ses nombreux lecteurs , en l'appuyant de toute l'autorité de son talent et de son nom , M. Vaugeois fut très affecté. Il avait toujours décliné la terrible responsabilité qu'on voulait faire peser sur sa tête à l'occasion des événements du 10 août. Pressé par sa famille de réfuter cette calomnie dans les journaux, d'en écrire à l'historien lui-même, il refusa cependant. « Je suis, disait-il, mort pour la politique depuis plus de quarante ans ; ce n'est pas à mon âge que j'aurai la vanité ridicule d'entretenir le public de ma personne. J'ai été calomnié bien souvent, je n'ai jamais répondu que par mes actes ; maintenant il est trop tard pour que je change de système. »

Ce système était mauvais. L'homme public, injustement attaqué, ne doit pas seulement à son nom et à sa famille de se justifier, il le doit aussi à son pays et à la vérité.

M. Vaugeois présentait au reste sa conduite dans les jours précurseurs du 10 août, sous un aspect tout autre que les historiens cités. A l'en croire, le comité central des fédérés n'aurait jamais été transformé en comité d'insurrection. Ce comité, chargé de régulariser l'action des fédérés, de se rendre l'interprète de leurs voeux et de leurs besoins, serait demeuré étranger à tout plan d'attaque contre le château, aux menées d'un comité occulte, qui se serait établi en concurrence avec lui, et dont lui, M. Vaugeois, n'aurait pas même soupçonné l'existence. Il ajoutait que, dans son opinion, les Marseillais étaient les seuls auteurs de la journée du 10 août, et repoussait toute solidarité dans le complot.

M. Vaugeois convenait avoir assisté au dîner du Cadran Bleu, avec quelques-uns des hommes qui s'attribuèrent depuis l'honneur du succès ; mais ce dîner ne fut pas un conciliabule. La conversation y roula bien sur l'état des choses et des esprits ; mais elle fit constamment générale, sans but fixe. Enfin, le seul fait, un peu remarquable , qui signala cette réunion , fut une altercation qui faillit dégénérer en violence, et qui s'éleva, parce qu'il combattit fortement une opinion très exaltée , mais non pas une motion que, dans le cours de la conversation , un des convives avait émise. Loin d'avoir demandé à la violence et à l'insurrection le triomphe de ses voeux et de ses opinions, il avait, deux jours avant le 10 août, seul et par la force de ses représentations, sur la place de la Bastille, arrêté le faubourg Saint-Antoine qui descendait pour se porter contre les Tuileries. Il avait exposé sa vie pour arrêter une foule égarée et prévenir l'effusion du sang.

Ce témoignage d'un homme que l'on nous a présenté comme confiant, véridique avant tout, et ne désavouant aucun de ses principes ou de ses actes d'autrefois, est d'un grand poids. On peut joindre à son autorité celle de Barbaroux , qui, dans ses mémoires, parle des événements du 10 août, qu'en sa qualité de chef des Marseillais il avait dû connaître mieux que personne , comme d'un mouvement irrégulier, résultat de mille circonstances, et qui déclare formellement qu'aucun plan d'attaque n'avait été tracé d'avance. Enfin, il paraît constant que les Girondins, avec lesquels M. Vaugeois était plus particulièrement lié, tout en voulant une nouvelle révolution, conservaient encore , quelques jours avant le 10 août, l'espoir chimérique de l'opérer sans effusion de sang. Aussi lit-on ces mots dans l'adresse des Marseillais à l'Assemblée législative, en date du 2 août : « Mais vous, législateurs, qui voyez le péril du peuple, vous aurez le courage de le sauver, ou la bonne foi de lui dire que vous ne le pouvez pas ; pour qu'exerçant enfin sa souveraineté il se délivre du mal des rois, non par des insurrections destructives, mais par la manifestation paisible de la volonté nationale. »
Il est donc permis de croire que les Girondins , et en particulier Carfa et Pétion, se calomniaient eux-mêmes, en réclamant l'honneur d'avoir préparé le 10 août. La conduite de Pétion eût été celle d'un misérable et d'un lâche si, maire de Paris, il se fût associé activement ou passivement à un complot ayant pour objet le renversement du gouvernement établi.

Quand les deux partis rivaux en vinrent aux prises, ils se disputèrent le principal rôle dans les événements auxquels ils n'avaient peut-être, l'un et l'autre , pris qu'une très faible part. Barbaroux en convient dans ses mémoires. Que M. Vaugeois n'ait pas réclamé contre le rôle que ses amis lui faisaient jouer, de concert avec eux, dans ces événements , cela se conçoit. Une réclamation l'eût rendu suspect ; un désaveu eût été un arrêt de mort.

Je me suis peut-être un peu longuement étendu sur ce point historique, mais son importance générale, son importance par rapport à M. Vaugeois en particulier, méritaient bien quelques développements. En regard de l'accusation, il fallait placer la défense. Il fallait reproduire la protestation de M. Vaugeois contre le rôle que quelques historiens lui font jouer au sein du comité central des fédérés, et les faits qui, à notre connaissance, viennent l'appuyer.

On connaît les détails de la journée du 10 août. La foule, dès le matin, entourant le château ; le roi passant en revue ses fidèles défenseurs, et le cri de vive le roi ébranlant pour la dernière fois les voûtes paternelles ; puis la retraite du malheureux prince au sein de l'Assemblée législative ; l'ordre de ne pas tirer, envoyé aux Suisses ; leur longue et courageuse résistance ; le château emporté à la fin par les assaillants, et ses défenseurs égorgés sans pitié : ces événements ont donné au 10 août une triste célébrité.
Les fédérés de Brest et de Marseille y prirent une grande part. Beaucoup, sans doute, des autres fédérés se mêlèrent à la foule, et partagèrent ses hangars ; toutefois, il me paraît qu'ils ne durent jouer qu'un rôle bien secondaire. Ils n'étaient point organises en bataillons, le fait est constant. Le concevrait-on, dans l'hypothèse ou leurs chefs auraient été chargés de préparer l'insurrection ?

Nous allons maintenant suivre M. Vaugeois dans les différentes fonctions publiques qu'il fut chargé de remplir. Nous le ferons à l'aide des notes que M. Hippolyte Vaugeois a bien voulu nous transmettre.

Vainqueurs, les amis de M. Vaugeois ne l'oublièrent pas. Il fut nommé, en 1793, commissaire national du pouvoir exécutif dans la Belgique. Il eut à y soutenir une lutte périlleuse contre un nommé Fyon et un grand nombre d'autres anarchistes qui, sous prétexte du bien public, voulaient tout bouleverser à Verviers. Ils provoquaient l'incarcération de vingt-deux des principaux fabricants de drap de cette ville , et demandaient à grands cris la mise sous la séquestre de leurs biens, que, disaient-ils ,les patriotes sauraient bien faire valoir. M. Vaugeois combattit et prévint cette mesure, dont le résultat eut été de suspendre les approvisionnements pour l'habillement de nos troupes, et de laisser dix mille ouvriers sans pain.


De retour à Paris , où il arriva sans autres ressources que ce qui lui était dû sur son traitement assez mal payé, il fut, en récompense de ses services et en considération d'une pauvreté d'autant plus honorable qu'elle avait résisté aux séductions si dangereuses de l'occasion et de l'exemple , nommé directeur des droits réunis à Poitiers. Il refusa, parce que, suivant son expression, c'était une place à argent, et parce que ses études spéciales, les fonctions qu'il avait jusque-là remplies, ne lui permettaient pas de se croire la capacité suffisante. —Singulière modestie chez un homme qui avait rempli et qui devait remplir des fonctions beaucoup plus délicates et plus importantes !

On l'envoya, en qualité d'accusateur public, à l'armée des côtes de Brest. Les généraux qui commandaient alors en Bretagne, ont, pour la plupart, laissé de tristes souvenirs. L'un d'eux, nommé Beaufort, avait été précédemment très connu sous le nom de Coeur-de-Lion, lorsqu'il recrutait sur le quai de la Féraille. Il n'avait rien imaginé de mieux que de ramasser les paysans dans les champs et dans les fermes , de les entasser dans la prison et dans le château de Vitré ; puis il écrivait à la Convention qu'il avait battu les brigands. Deux mille de ces malheureux, parmi lesquels se trouvaient des enfants et des femmes, attendaient leur jugement et leur condamnation. M. Vaugeois, à son arrivée, les fit mettre en liberté, malgré l'opposition des généraux et du représentant du peuple lui-même.


"La suppression d'une Commission qui, par sa manière de juger, avait soulevé l'improbation universelle, et l'organisation d'un tribunal militaire régulier occupèrent le court espace de temps qu'il passa dans la Vendée.

Il fut rappelé à Paris après le 9 thermidor, les électeurs de la commune l'ayant, malgré son absence, élu député-suppléant à la Convention nationale.

Peu de temps après son retour, il fut nommé commissaire du Directoire exécutif près la troisième administration municipale de Paris, qu'il fut chargé d'organiser. Mais cette organisation était à peine terminée, qu'il fut révoqué par suite d'une réaction.

Le Directoire le rendit à ses études favorites en l'appelant aux fonctions d'accusateur public à Namur. Il trouva dans ce pays beaucoup d'abus scandaleux à réprimer, et, pour y parvenir, il lui fallut soutenir des luttes nouvelles. Des agents municipaux jugeaient eux-mêmes les délits ruraux, et fixaient arbitrairement les primes à allouer aux gardes. Les commissaires de canton étaient pour la plupart de petits tyrans qui faisaient trembler les campagnes. Un commissaire du Directoire exécutif, nommé Balland , était hautement accusé de faux et de concussions de tout genre. On lui reprochait, entre autres griefs, de s'être fait donner de l'argent par les paysans pour ne pas enlever leurs cloches. Enfin une bande d'intrigants, de fripons et d'anarchistes s'arrogeaient exclusivement le titre et les droits de patriotes. M. Vaugeois attaqua courageusement ces abus ; et, malgré les menaces, les réclamations, les dénonciations, il parvint à son but. La répression des délits fut enlevée à l'arbitraire, les anarchistes contenus, les commissaires de canton forcés de se renfermer dans leurs attributions légales, Balland incarcéré et mis en jugement.

Il recueillit la récompense de son zèle dans l'estime et la reconnaissance des populations, jusque-là hostiles au nom de Français. Il fut réélu à l'unanimité par les électeurs du pays.

Mais les faibles émoluments de cette place suffisaient à peine à ses besoins et à ceux de sa famille. Le ministre de la guerre voulut améliorer sa position, et le nomma chef du bureau des lois dans son ministère.

C'était lui donner le choix des divers fournisseurs de l'armée. L'usage était de garder pour soi les commissions, sauf à les céder ensuite au plus offrant. Mille louis en or lui furent offerts, à son début, pour prix de la cession d'une seule fourniture. Il refusa, et courut chez le ministre pour le prier de ne point le charger de commissions pareilles. Heureusement ce refus n'eut pas de suites graves : les armées de la république purent manquer de fournitures, mais les fournisseurs ne manquèrent pas.

Enfin, la carrière pour laquelle M. Vaugeois avait toujours eu le plus de prédilection s'ouvrit définitivement pour lui: par arrêté du premier consul, en date du Il messidor an VIII, il fut nommé président du tribunal criminel de Namur qui, plus tard, toujours sous sa présidence, prit le nom de cour criminelle.

Il eut encore, dans le commencement, quelques luttes à soutenir pour détruire les abus qui s'étaient introduits, à la faveur de la révolution et de l'invasion , jusque dans le sanctuaire de la justice : il en sortit vainqueur.

A cette époque, on s'occupait d'élaborer le code pénal. Tous les tribunaux criminels furent invités par le ministre à donner leurs idées sur sa rédaction. M. Vaugeois rédigea et fit imprimer, sous le nom de tous les membres du tribunal de Namur, un travail complet sur la matière.

« Toutes ses opinions ne furent pas alors adoptées, dit M. Hippolyte Vaugeois, parce que les passions et peut-être les nécessités du temps y tirent obstacle ; mais il est remarquable que les réformes qui depuis ont été faites à ce code, sont l'exécution, à-peu-près complète , de ce qu'il demandait dès l'origine : témoins la suppression de la confiscation et celle de la marque attachée, comme accessoire, aux travaux forcés à temps. »

Les travaux de M. Vaugeois ne tardèrent pas à recevoir une récompense à laquelle il attachait le plus haut prix, le 24 prairial an XII , il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur. A cette époque, le général qui commandait la division n'était pas encore décoré.

Lors de la suppression des Cours criminelles, M. Vaugeois fut nommé conseiller à la Cour de Liège. Il en remplit les fonctions jusqu'à l'invasion de la Belgique par les alliés. Pendant ce long intervalle, il ne siégea presque jamais comme conseiller, étant exclusivement chargé de présider les assises des départements de l'Ourthe , de la Meuse Inférieure et de la Roër.

Les événements de 1814 et de 1815 lui enlevèrent cette place . Une chétive pension de 697 francs fut tout ce qu'il put obtenir en échange et il se retira à Laigle, chez un de ses frères.

C'est là que se sont écoulées les vingt-cinq dernières années de sa vie, au sein de sa famille et d'un petit nombre d'amis.

M. Vaugeois profita des loisirs de sa retraite pour se livrer avec une ardeur nouvelle à l'étude de l'histoire et des antiquités, qu'il avait toujours et beaucoup aimée. Les sciences naturelles, et surtout la géologie et la minéralogie, n'avaient pas moins d'attrait pour lui. Il avait parcouru la Suisse, l'Auvergne, le Forez, le Midi, en les étudiant sous le double rapport des antiquités et de l'histoire naturelle. Il avait beaucoup vu, beaucoup retenu. Il se mit en rapport avec les sociétés savantes de nos départements ; et les recueils de quelques-unes d'elles conservent de lui des travaux qui témoignent à la fois de son savoir et de son zèle.

M. Vaugeois était membre de l'Académie celtiqu , devenue la Société des antiquaires de France. Il a publié dans les mémoires de cette Société :

Lettre à M. Eloi Johanneau, sur la pierre du Diable de Namur , et sur l'étymologie du nom de cette ville. 4 p. in-8.° — T. 3 , p. 229. Cette lettre mentionne la découverte assez remarquable de monnaies romaines sous un dolmen.

Les mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, à laquelle M. Vaugeois appartenait depuis sa fondation , et qu'il avait présidée, en qualité de directeur, pendant l'année 1834 , renferment de lui deux mémoires intéressants.

Mémoire sur la pierre couplée de la forêt de Saint-Sever. 14p. in-8.° — T. 2, p. 157.

Coup-d'oeil sur quelques-unes des voies romaines qui traversent l'arrondissement de Mortagne. 31 p. in-8.° — T. 5 , p. 90,

M. Vaugeois avait en outre fait à la Société des antiquaires de Normandie plusieurs communications sur les souterrains des anciens châteaux, et en particulier sur celui qu'on découvrit à Mauves en 1825 ( t. 3 , p. 63 ) ; sur les fortifications romaines de Saint-Aubin-sur-Mer, près Caen ( t. 4, p. 31 ) ; et sur les tombeaux de l'abbaye de Sainte-Trinité de Caen ( t. 4, p. 44 ).

Membre de la Société Linnéenne de Normandie , de la Société française pour la conservation des monuments historiques . et de la Société libre des sciences, etc., du département de l'Eure, il ne paraît pas que M. Vaugeois ait rien publié dans les mémoires ou les bulletins de ces diverses Sociétés. Il avait communiqué à la Société libre de l'Eure un volumineux mémoire sur Condé-sur-Iton ( Condate de Peutinger ) ; M. de Stabenrath a rendu un compte avantageux de cet ouvrage dans les bulletins de la Société.

Il avait donné des Recherches sur la ville de Verneuil dans la Revue trimestrielle de l'Eure (juillet 1835,124 p. in-8.°). Cette notice, estimable à beaucoup d'égards, a été tiré à part à un petit nombre d'exemplaires ainsi que le Coup-d'oeil sur les voies romaines.

Ces deux notices étaient détachées d'un grand ouvrage sur l'histoire et les antiquités de la ville de Laigle et de ses environs, que M. Vaugeois préparait avec le soin le plus actif et le plus consciencieux. Elles doivent faire augurer favorablement de l'exactitude et de l'importance de ce travail. La mort a surpris M. Vaugeois avant qu'il l'eût entièrement terminé ; mais il a laissé de précieuses notes : les lacunes qui restent à combler sont d'un intérêt secondaire, et sa famille a pris des mesures pour que l'ouvrage, achevé suivant le plan même de l'auteur, puisse être livré au public dans un délai qui, elle l'espère, ne sera pas très long.

M. Vaugeois avait encore préparé une description complète des monuments celtiques de Normandie.

Enfin il était membre de la Commission des antiquités et de celle des archives historiques de l'Eure, et il avait été nommé par le ministre de l'intérieur , en 1833 , conservateur honoraire des monuments du département de l'Orne.

Depuis quelques années, l'extrême vieillesse était venue arrêter les courses de M. Vaugeois. On ne le voyait plus à Caen, à ces réunions générales de nos Sociétés, où il aimait tant à se rendre. Mais son zèle pour l'étude ne s'était pas ralenti, et il est mort en quelque sorte la plume à la main.

C'est le 1er juin dernier qu'il s'est éteint , sans souffrance , dans les bras de sa famille désolée ; il venait d'entrer dans sa quatre-vingt-septième année.

En esquissant la vie publique de ce vénérable doyen de nos Sociétés savantes, nous avons dû nous abstenir de tout éloge et de toute critique. Nous avons laissé parler les faits, meilleurs juges que nous. Il ne nous appartient pas davantage de pénétrer dans le domaine de la vie privée, même pour y chercher des vertus. Le regrets de sa famille, ceux de ses amis sont à cet égard le meilleur témoignage qu'ait pu recevoir la mémoire de M. Vaugeois, le seul qu'il eut envié, le seul qu'il eut permis.

Par M. LÉON DE LA SICOTIÈRE, Inspecteur de l'Association normande.

Source : Annuaire des cinq départements de la Normandie / publié par l'Association normande (1840)- Gallica

1792

Réfractaire et déporté en Angleterre

1797

Passe à l'île de Cuba


Saisie : Christiane BIDAULT

Dernière modification : 18 Avril 2017