Histoire des communes

Commerce & industrie : Champrond-en-Gâtine

TROIS GENERATIONS DE CLOUTIERS

Aux XVIIIe et XIXe siècle on relève trois générations de cloutiers dans une famille de Champrond-en-Gâtine :
- Etienne DESORGES, 1729-1788, maître-cloutier
- Jean-François CLOUET, 1755-1795, cloutier
- Jean-Baptiste CLOUET, 1785-1862, cloutier, mais aussi cultivateur et garde-champêtre

1 - ETIENNE DESORGES 1729-1788 : du Thieulin à Champrond-en-Gatine en passant par la forge de Longny

Etienne Desorges a été baptisé le 25 février 1729 en l’église Saint Eustache du Thieulin, fils d’Eustache homme de peine et de Marguerite Coudrai. Il apprend le métier de cloutier et se marie le 1er juillet 1754 à Champrond-en-Gâtine avec Catherine Biseau dont le père est couvreur. Il s’installe dans la paroisse de son épouse à quelques kilomètres de celle où il est né et va y exercer le métier de cloutier.
Ce métier est très ancien et depuis le Moyen-Age comprend deux catégories: les cloutiers de clous et les cloutiers d’épingles. Dans le Perche les deux activités existaient : ainsi, la région de L’Aigle (61) était spécialisée dans les épingles et une fabrique de clous se trouvait aux XVIe et XVIIe siècles à Authon (28). Mais on peut aussi considérer que la demande de clous était universelle dans tous les villages car indispensable à toutes les activités. Il en fallait pour les souliers, pour la ferrure des animaux, pour les charpentes, etc. Les cloutiers travaillaient donc comme les forgerons, les charrons ou les tonneliers pour les besoins des locaux et des marchands.
Dans le Perche il faut lier l’activité des cloutiers à la présence de minerai de fer qui a engendré depuis l’Antiquité une activité de métallurgie avec ses dérivées. Il existait ainsi une grande forge à Longny (61) dont la production de fer était écoulée dans toute la région vers les tréfileries, les maréchaux-ferrants ou les cloutiers. Ce n’est sûrement pas un hasard, si en 1754 quand il se marie à Champrond-en-Gâtine, Etienne Desorges natif du Thieulin et qualifié de garçon-cloutier, déclare demeurer à Longny. Il a peut-être appris les métiers de la forge au Thieulin où une rue des forgerons signifie que l’activité était importante, mais on peut imaginer qu’il était parti trouver du travail à la forge de Longny. A la fin du XVIIIe siècle près de 300 personnes travaillaient sur ce site qui comprenait le haut-fourneau de Rainville, la forge de Beaumont, une fenderie et une poêlerie.
Quand il se marie il s’installe dans la paroisse de sa femme, Catherine Biseau, qui appartient déjà au monde des cloutiers : Louis et André Lemaître, les frères de son premier mari mort six mois plus tôt, sont cloutiers. Etienne Désorges a sans doute le sens des affaires. Comme son père Eustache pourtant qualifié d’homme de peine, il sait signer et ce au XVIIIe siècle. Il semble que pour les artisans la signature était une quasi-obligation pour passer des contrats. Etienne Désorges progresse dans la hiérarchie artisanale : de garçon-cloutier il devient cloutier, puis maître-cloutier.
La transmission du métier de cloutier se fait par son deuxième gendre, Jean-François Clouet, originaire de Bretoncelles

2 - JEAN-FRANCOIS CLOUET 1755-1795 : de Bretoncelles (61) à Champrond-en-Gâtine (28

Le 16 mars 1782 en l’église de Champrond-en-Gâtine, est célébré le mariage de Marguerite Désorges âgée de 20 ans, fille d’Etienne, cloutier, qui est présent, et de Jean-François Clouet, âgé de 27 ans, cloutier, baptisé en l’église de Bretoncelles, où demeure sa famille depuis le XVIe siècle, le 28 février 1755, fils de Mathurin, journalier, et de Marie-Jeanne Gaillard. En épousant Marguerite Desorges, Jean-François Clouet s’installe à Champrond-en-Gâtine comme cloutier, et va succéder à son beau-père Etienne Désorges qui meurt le 15 février 1788.

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert parait de 1751 à 1772 donc du temps de Jean-François Clouet. C’est donc une bonne référence pour appréhender et imaginer le métier de cloutier qui est traité tant dans les textes que les planches :
Petit ouvrage en or, ou argent, ou fer, ou cuivre, à pointe par un bout et à tête par l’autre, dont le corps est rond ou à faces, mais qui va en diminuant de la tête à la pointe et dont la tête est d’un grand nombre de formes différentes selon les usages auxquels on le destine : le clou. Les clous en fer se forgent, les autres se fondent. Il y en a de deux sortes, les clous ordinaires et les clous d’épingles. On donne le nom de cloutier tout court aux ouvriers qui font les clous ordinaires, celui de cloutiers d’épingles aux autres… »

Le cloutier travaille dans une forge de quelques mètres carrés à proximité de son domicile. Il façonne les clous sur une petite enclume avec un marteau et des tenailles. Son travail est similaire à celui d’un forgeron. Il forge entre 50 et 100 clous à l’heure selon la taille qui est très variable. La broquette est la plus petite sorte de clous. Les clous à souliers, utilisés pour renforcer les semelles et dessous de talons, sont petits et peuvent prendre deux formes : à deux têtes ou à têtes de diamant ; ils s’appellent des caboches. Les clous pour ferrer les chevaux sont plus gros .Et les clous peuvent être d’énormes pointes quand ils sont destinés aux charpentes.





L’activité de cloutier est-elle de bon rapport ? Difficile à évaluer, mais travailler pour des clous c'est-à-dire pour rien ou pas grand-chose, est restée une expression usitée. A la fin du XVIIIe siècle la misère était grande dans les campagnes et il est probable que les cloutiers n’y échappaient pas. La mortalité infantile faisait partie de cette misère et la famille Clouet l’a subie. Jean-François Clouet et Marguerite Désorges ont six enfants dont quatre meurent à la naissance. Jean-François Clouet vit la fin du règne de Louis XVI, puis la Révolution pendant laquelle Champrond-en-Gâtine devient temporairement Champrond-Marat. Il meurt le 12 avril 1795

3 - JEAN-BAPTISTE CLOUET 1785-1862 : la fin des Clouet cloutiers

Jean-Baptiste Clouet est né le 3 avril 1785 à Champrond-en-Gâtine. Il a 10 ans en 1795 quand son père meurt. Il doit déjà gagner sa vie. Il est possible qu’il ait déjà un peu appris le métier de cloutier ; il va poursuivre auprès de son oncle maternel Jean-François Sursin cloutier ou avec son beau-père Jean-Marie Chauvin maître-cloutier avec lequel sa mère, Marguerite Désorges s’est remariée en 1797.

En avril 1810 il épouse Marie-Catherine Boullay avec laquelle il a trois enfants :
La famille habite la rue du Plessis qui devient un hameau à proprement-dit où il y a 124 habitants en 1851. Jean-Baptiste Clouet démarre dans la vie comme cloutier, mais abandonne cet artisanat qui périclite pendant le XIXe siècle. Lors de la naissance de ses enfants (1811 à 1815) il est qualifié de compagnon-cloutier, mais lors de leurs mariages (1835-1846) il est cité comme propriétaire. Cette qualité est donnée lors des recensements de population à partir de 1836 ; s’y ajoute en 1846 et 1851 celle de garde-champêtre. Ces données indiquent que Jean-François Clouet possède un lopin de terre qu’il cultive d’où le titre de propriétaire et que pendant quelques années il obtient la fonction de garde-champêtre ce qui lui donne un revenu complémentaire.

Le métier de cloutier disparait progressivement au cours du XIXe siècle à mesure que la mécanisation et l’industrialisation se développent. Les premières machines brevetées datent de 1786 aux USA et de 1790 en Angleterre. A Champrond-en-Gâtine qui compte environ 1000 habitants, le métier disparait dès la première moitié du siècle. Selon les recensements de population (qui débutent en 1836) :


- 4 cloutiers en 1836 : Pierre Ballot 59 ans, François Bouillard 49 ans, Pierre Lahaye 49 ans, Louis Bebera 32 ans.
- 3 cloutiers et 2 ouvriers en 1841 : Pierre Lahaye, Joseph Lahaye avec Michel Leroy ouvrier, Louis Hébert avec Alexandre Tourangeau ouvrier ; Pierre Ballot est noté ancien cloutier.
- 1 seul cloutier en 1851 : Joseph Lahaye 39 ans.
- aucun cloutier en 1856.


Le temps des cloutiers est révolu quand Jean-Baptiste Clouet meurt le 27 mai 1862 à l’âge de 77 ans.

source : article dans LE SOUATON JUIN 2018


Saisie : Dominique LECOINTRE-MONTAGNE

Dernière modification : 18 Juin 2018

 

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